Le nouveau riche ou le déclin d'une République
Le nouveau riche, c'est un homme, plus rarement une femme, qui a préféré investir affectivement sa carrière plutôt que sa famille. Sur le modèle du self made man américain, il est un Français issu du milieu ouvrier ou de la classe moyenne, qui a réussi à prendre l'ascenseur social en profitant de l'effet d'aubaine des trente glorieuses ou de leurs retombées.
Il est un revival du chevalier d'industrie, de l'escroc et du faussaire, mais s'en distingue par sa banalité ordinaire, du fait de l'inscription paradoxale qu'il représente, de la normalisation de la figure de transgression qu'il incarne jusque dans l'institutionnalisation de l'automatisation.
Ce boomer se trouve en effet noyé dans la foule, isolé de par sa médiocrité ordinaire et habituelle, répétée à l'infini.
Le nouveau riche est ce parvenu qui a été rejeté de l'ordre bourgeois, car il en transgressait les codes et les règles les plus essentielles. Il est ce père divorcé qui se désintéresse de l'éducation de ses enfants, parce qu'il n'en a lui-même aucune, ni aucune foi à leur transmettre. En fait de culture, il étale de la confiture, des collections d'étiquettes vinicoles, des titres de journaux, des tweets, des réparties de dîner entre collègues, des punchlines à sortir en cas d'invitation à un vernissage ou une exposition.
C'est un père qui parle avec ses enfants, uniquement en déjeunant au restaurant à deux pas de son bureau, comme avec ses clients, par commodité.
La société bourgeoise l'a rejeté à cause de son goût pour l'exhibition de ses richesses, pour les voitures clinquantes, les implants mammaires en silicone. Les membres de sa famille d'origine l'ont exclu, car ils ne lui ont pas pardonné d'avoir restauré les privilèges de l'ancienne noblesse, pour se les approprier à lui seul. Ses parents, ses frères et sœurs sont demeurés des ouvriers, des employés, des saisonniers ou des restaurateurs et ils n'ont pas apprécié son mépris, lorsqu'ils lui demandaient un prêt d'argent, son air supérieur de radin invétéré, répétant à l'envi que lui a mérité son argent, grâce à son travail.
Le nouveau riche n'a pas de famille, ou alors recomposée, car dans son for intérieur, il n'a pas d'enfants, pas de fratrie, pas d'alliés. Il est un loup parmi les loups, un tueur solitaire, un transgresseur incurable.
En fait de mérite, dès mai 68 le futur nouveau riche avait transgressé l'ordre universitaire, en falsifiant ses diplômes.
Des bouts de papier, rien de plus, qu'il n'a jamais pu obtenir en étudiant, trop occupé à manifester sa soif de transgresser. Il a donc occupé les fonctions les plus élevées, en déléguant son travail à ses subalternes de la classe moyenne ou petits-bourgeois, en s'enrichissant par spoliation du travail des autres compétents, en externalisant les services de son entreprise ou en les délocalisant, pour que son incompétence en devienne moins flagrante.
Plus tard, comme les nouveaux riches sont devenus puissants et nombreux, ils ont occupé les plus hautes fonctions des entreprises privées comme du secteur public, hauts fonctionnaires, polytechniciens, énarques. Ils sont devenus ministres et même Présidents, avec pour tout leitmotiv le renversement de la hiérarchie des normes. En s'appropriant le pouvoir législatif grâce à la corruption véhiculée par les cabinets de lobbying, comme une gangrène, ils ont inscrit dans la Loi les mécanismes de l'équivalence des diplômes et de la mobilité professionnelle, qui leur étaient tellement utiles, pour leur funeste dessein.
Ils ont gravé dans le marbre les mécanismes légaux de l'exil fiscal, de la fraude fiscale via les paradis fiscaux.
Les diplômes, les titres professionnels sont devenus automatiques, comme le résultat de procédures par cumul de crédits "ECTS", de nombre d'heures passées assis, à faire semblant d'écouter un enseignant, de résultats à un questionnaire à choix multiple ou encore mieux, par validation de stage.
Le nouveau riche est en effet le roi du piston, le prince du népotisme, des stages passés à la machine à café et à la photocopieuse, avec les secrétaires sous-payées, l'artisan de la promotion canapé pour assistante de direction en goguette.
Comme il n'a rien pu transmettre de moral, d'éthique ou de philosophique, par défaut d'empathie, ses enfants sont devenus les bobos, bourgeois-bohèmes. Parfois riches, quand il leur restait un peu d'héritage, si leur père n'avait pas pu tout dépenser, ou avait laissé un bien immobilier à sa mort, les bobos aspirent aux valeurs qu'ils n'ont pas reçues, tentent de conquérir dans l'écologisme ou les produits stupéfiants la foi et le désir qui se sont absentés de leur engendrement.
Le bobo, c'est un artiste en échec scolaire qui n'a même pas pu prétendre aux faux diplômes qui lui étaient pourtant proposés par la voie officielle, dans une pochette surprise, gracieusement et automatiquement. C'est un étudiant qui rend copie blanche en vingt minutes, au lieu d'attendre comme tout le monde la fin du partiel, pour sortir ses antisèches de son sac, dans la cohue provoquée par les bons élèves, qui se lèvent pour rendre fièrement leur copie, parce qu'il n'y croit plus, ou n'a jamais cru en la valeur du système universitaire et social. C'est un bénéficiaire du RSA qui fume de la résine de cannabis pour oublier la faim, dans un duplex luxueux en plein cœur de Paris huitième, où il organise des fêtes clandestines. C'est un adulescent, qui ne connaît pas la valeur de l'argent ni celle de l'effort, car son contre-modèle, le nouveau riche, lui a trop fait sentir combien la compétition qui règne dans la multitude de la médiocrité trace un trait définitif sur tous ses rêves, ses espoirs de ne pas avoir à tricher.
Il s'abandonne, persuadé que le monde du nouveau riche est fou et condamné, en oubliant que ce que le nouveau riche a condamné en imposant une société globalisée de mobilité, ce n'est pas seulement le monde actuel, mais c'est aussi la vie à venir de ses enfants, comme la vieillesse de ses propres parents.