L'oiseau du Diable

 

L'oiseau du Diable

1) Orion

Il existe un endroit merveilleux, un lieu miraculeusement boisé et habité par des êtres divins ; une planète abandonnée paradisiaque, une vallée des merveilles, accessible uniquement aux êtres humains qui ont accepté de mourir et qui se sont détachés des valeurs matérielles terriennes. Les créatures qui résident dans cette forêt planétaire sous forme d’incarnations angéliques sont décrites par les mythes qu’elles ont inspirés comme des chérubins. Les adultes en effet ne peuvent pas y survivre plus de quelques semaines, parce qu’ils sont considérés comme du gibier par ces enfants cruels et prédateurs, qui sont aussi de redoutables chasseurs. Dés les premiers signes de la puberté et de l’adolescence, les aînés sont poursuivis par leurs anciens compagnons ; leur cerveau reptilien est rejeté par le coeur vivant de l’étoile planétaire, l’étolie Orion de la constellation Sirius. Certains démons plutoniens, ou plus rarement, quelques sorciers terriens, tentent de s’y introduire malgré les interdits angéliques, afin d’y dévorer un chérubin et de s’approprier leurs terribles pouvoirs. Pour ce faire, les esprits mal intentionnés entreprennent de régresser temporellement leur corps ainsi que leur esprit, en usant de drogues dures spirituelles, telles que l’héroïne dérivée de l’opium du pavot. Ensuite, pour la régression physique jusqu’à l’enfance, un aspirateur à cerveau reptilien, appelé aussi guillotine, provoque immanquablement des tentatives pathétiques et désastreuses. Les êtres sans scrupules qui s’y risquent transgressent l’harmonie de la séparation des esprits morts et des corps vivants, au prix de la perte de leur humanité. L’âme de ces sorciers se transforme ainsi dans cette quête d’immortalité, devient négative, leur souffle même s’inverse. Ils commencent à parler à l’envers, en inspirant, comme un miroir inverse de la parole et de l’âme humaine. Leur corps adulte régresse temporellement, ils rajeunissent de plus en plus rapidement, au lieu de vieillir comme les autres âmes humaines.

2) La conspiration des sorcières cannibales

Lorsque les sorciers les plus résistants parviennent à supporter le retour à l’enfance et qu’ils commencent à éprouver le sentiment de devenir immortels, en réalité le processus demeure irréversible. Les magiciens noirs qui ont recours à ce dispositif d’aspiration pourraient finir par périr en parvenant à l’état de nourrisson, jusqu’avant de passer de l’autre côté du miroir, si la guillotine n’était pas devenue, sur Terre, un piège technologique gardé par la communauté vénusienne des sorcières pédophiles. Le principal objectif de leur sororité consiste ainsi à se nourrir des anti-bébés issus des esprits humains qui ont osé enfreindre les lois sacrées du droit divin. Ces femmes plusieurs fois centenaires aspirent en effet à prolonger leur vie, lors de rituels orgiaques ancestraux, d’étranges moeurs festives, durant lesquelles elles apprécient particulièrement de s’enfiler dans tous leurs orifices les petits corps tremblants, comme des perles. Les sorcières obtiennent ainsi la force de vie avec les facultés magiques des créatures humaines qui ont cru prétendre à l’immortalité physique, alors que celle-ci leur était déjà, paradoxalement, offerte par delà la mort, sous la forme immuable et religieuse de la vie éternelle. Malgré les efforts des humains complices pour protéger les enfants candidats au voyage vers Orion, en les isolant dans des écoles spéciales, les pythies rodent dans les centre-ville, à l’affut, sans cesse à la recherche des petits promeneurs solitaires.

3) Le Capharnaüm

La guillotine aspire nos souvenirs d’enfance et de notre vie d’adulte, avant de les transférer sur des serveurs informatiques, dont la fonction principale sert à préserver l’illusion d’une parole expirée, à l’aide de robots et d’automates qui remplacent temporairement l’aspirant sorcier. Cependant, cette machine infernale nous retire également la mémoire et le réflexe de respirer, d’inspirer et d'expirer, car les démons, ainsi que les anges, n’ont plus besoin d’utiliser leurs poumons. La guillotine, lorsqu’elle attire la convoitise des oiseaux méchants, en absorbant leurs aspirations mêmes, leur permet de ré-insuffler leur vie ancienne avec un pseudo-cycle respiratoire artificiel, implanté dans des corps mécaniques, clonés, ou dans des momies, des cadavres plasticinés, ou encore des robots bioniques, le temps de leur transition vers la régression infantile. La guillotine est aussi parfois appelée « Capharnaüm », parce que le processus d’aspiration des souvenirs qu’elle déclenche consiste à inverser le cycle de la parole et du silence, en produisant un boucan chaotique, un tintamarre de tous les diables, comparable à l’éveil des oiseaux d’une jungle au petit jour. C’est à dire que chaque souvenir est aspiré, puis certains sont expirés par le haut-parleur de la machine, sous forme de voix reptilienne, de parole à la tonalité aigüe, comparable à celle de Mickey Mouse, le personnage emblématique de Walt Disney, comme si les sorciers qui utilisent le Capharnaüm inspiraient de l’hélium. Seules les phrases les plus emblématiques qui ont été retenues par le cerveau reptilien de l’individu sont ainsi expectorées. Ce sont d’abord les impressions de l’univers « extraordinaire » des dessins animés de l’entreprise américaine des studios Disney qui servent à enclencher le cycle d’aspiration, pour ensuite diffuser dans le ciel les voix reptiliennes débiles, provoquant l’énervement, l’agacement et les tentatives discordantes et désordonnées de réponse, ou de réaction malhabile des cerveaux cibles.

4) L’influence du Mal

Des mots-clefs, des slogans, des mots de passe inspirent ainsi le souffle mental, l’énergie de chaque tentative des cervelles victimes, visant à résoudre et à répondre aux obsessions, aux accusations ou aux culpabilisations insufflées par la machine ailée dans le Ciel. L’oiseau du Diable utilise, manipule les ambitions de nos âmes d’enfants, en les mobilisant au moyen d’une transfiguration de nos fantaisies, de nos rêves ou des images des dessins animés de notre enfance, jusqu’à nous pousser à nous laisser glisser peu à peu dans la folie. Lorsque nous sombrons, à la suite de ces épreuves, dans la psychose, il devient alors aisé pour le Mal de nous placer sous son influence hypnotique, afin de nous pousser à commettre des crimes atroces, malgré nous-mêmes, ou encore de nous jeter soudain au travers de la fenêtre, afin de se débarrasser de notre corps, en oblitérant notre conscience et de s’approprier notre esprit. Tandis que notre cerveau reptilien enfantin se retrouve transféré dans un nouveau corps humain, appartenant lui-même à une entité collective démoniaque, le Diable utilise les organes vitaux de plusieurs individus sous influence ; un homme et une femme sont élus pour faire fonction de chaque partie humaine du corps de Satan. Nous pouvons de même repérer et entendre deux oiseaux maléfiques, qui se répondent l’un à l’autre, afin d’entretenir le cycle d’aspiration du cerveau reptilien et si nécessaire, de le réparer si l’un des deux volatiles venait à être coupé de l’autre, en relançant le service du serveur où sont stockées les âmes collectées par des forces automatiques, militaires et vicariantes.

5) La fonction de rembobinage

La guillotine rejette dans le ciel des énergies négatives, sous forme de sales voix, de voix dégouttantes, d’insupportables grincements de voix, de voix criminelles, phalliques, génitales, clitoridiennes, des voix-bites et des voix-vagins, parfois redoublées, voire triplées, de voix plus graves et basses, de roucoulements d’allure démoniaque, révélés par le rembobinage des enregistrements de la machine, les arrêts sur image ou les coupes. Il existe une possibilité d’inversion du cycle d’aspiration du Capharnaüm, qui consiste à rejouer l’enregistrement du cerveau bionique pré-enregistré avec les principaux mots-clefs, qui défilent à contre-sens dans le paysage sonore, à l’envers de l’envers, ce qui n’est toujours pas à l’endroit. Dans ce mode de rembobinage, la guillotine se trouve simplement réinitialisée, afin de servir pour une nouvelle victime, par exemple, ou d’effacer après leur transfert sur le serveur dédié les souvenirs copiés, stockés par et au travers de la voix de l’oiseau diabolique. Les souvenirs aspirés ne peuvent pas vraiment être effacés du cerveau cible, mais ils deviennent plus difficiles à retrouver, comme s’ils en ressortaient légèrement modifiés, ou perturbés par une inversion du souffle mental. De plus, tous les individus présents aux alentours qui perçoivent les voix reptiliennes sont affectés par leur cycle d’inspiration et commencent à leur envoyer malgré eux-mêmes leur propre énergie psychique, sous forme de réponses mentales plus ou moins passives, en réaction à des injonctions subliminaires.

6) Sorcellerie aspirante

L’Oiseau du Diable est aussi une machine en réseau, un Capharnaüm connecté sur tous les moteurs mécaniques, électriques ou à injection ; sur les klaxons, les alarmes des voitures, la sirène des pompiers, celles de la police et des ambulances. Le tuyau en spirale noire de la guillotine est prolongé par une sorte d’embout en forme de bec, comme un narguilé, qui peut réellement être utilisé comme une chicha inversée, dans laquelle on souffle pour vider l’air des poumons avec le souffle cérébral vital, ce qui provoque les effets sur la voix des aspirants sorciers, comparables à ceux de l’inspiration d’hélium. La guillotine aspire directement les contenus psychiques du cerveau reptilien du sorcier, qui se drogue ainsi en aspirant à l’immortalité. Cependant, la machine infernale utilise en réalité des hauts-parleurs nombreux, dissimulés dans les arbres, les lampadaires et les bouches d’égouts, les fosses sceptiques, des oiseaux bioniques utilisant des antennes analogiques hertziennes, abandonnées sur les toits des immeubles et des maisons, ainsi que des moteurs, des machineries, des bruits dissonants de train sur chemin de fer ; des cris de volatiles qui aspirent le cerveau, les pensées et les émotions de tous les êtres vivants aux alentours, pour inverser leur souffle et les damner en les laissant accroire qu’ils jouent à un simple jeu vidéo, qu’ils détiennent des pouvoirs magiques incroyables, ou qu’ils pourraient aspirer la force vitale des autres êtres humains, par exemple en les hypnotisant, en les violant ou en les tuant.

7) La course du Démon

En réalité, plus ces esprits avides convoitent l’énergie des créatures qui vivent autour d’eux, plus elles participent au mouvement vibratoire de l’Oiseau du Diable, plus leur propre vie se retrouve aspirée et dissolue dans le corps collectif du Démon, lequel aspire à redevenir un ange, un poète ou un homme, ce qui lui a été formellement défendu par la Commanderie du Royaume Angélique, du fait de sa condamnation à la déchéance. La Bête ne peut ni aimer comme une femme, ni lire et écrire comme un homme, mais seulement fuir en courant la lumière du Soleil comme la colère des dieux, pour se réfugier dans l’obscurité de la nuit la plus ténébreuse. Au final, le cri de l’Oiseau du Diable provoque un tourbillon assassin, une tornade maléfique qui aspire l’énergie vitale de tous les esprits humains aux alentours, avec leurs forces spirituelles, jusqu’à déclencher une avalanche meurtrière, une succession de crimes de sang et de viols perpétrés avec l’annulation de la séparation entre les morts et les vivants. Toute cette énergie se voit canalisée en direction d’un seul nom, d’une seule âme invoquée en premier par tous les utilisateurs de l’Oiseau du Démon, comme une marque déposée. Le nom qui sert de réceptacle à l’énergie psychique des esprits faibles demeure celui dont le corps et la lignée sont convoités par le Diable, parce que ce nom, cette âme, ont été désignés par le Royaume Angélique, en dehors même de la puissance magique du Diable et de son contrôle sur les mortels.

8) Transfiguration ornithologique

Cela ne sert strictement à rien, de projeter dans le Ciel une voix stridente pour quémander l’énergie même que votre demande dépense sans compter. La transfiguration ornithologique représente une opération coûteuse en énergie vitale et même la consommation de sang humain ne saurait suffire à compenser une telle décharge spirituelle, car dans le cas de la transfiguration de l’Oiseau Capharnaüm, s’y ajoute une couverture sensorielle de la réalité collective, une forme de manipulation de la maya elle-même, usant des altérations sonores et visuelles les plus puissantes, qui apparaissent utiles afin de dissimuler les signes du crime ainsi que la présence des criminels, mais beaucoup moins pour augmenter le pouvoir personnel des êtres fourbes qui se trouvent en péril dés qu’ils tombent tragiquement dans la toile gluante aspirant leur énergie vitale. Cette modification des apparences entraîne au contraire une dépendance onéreuse, avec les risques de l’accoutumance, de l’accoutrement et du costume, si les forces vitales venaient à se raréfier ou à manquer pour perpétrer le sort. L’homme invisible apparaîtrait nu, au beau milieu d’une foule, la voix malsaine du démon serait percée à jour par les enfants qu’il pourchasse, la lumière de la justice divine entraverait la corruption des autorités, à la moindre faiblesse, sans aucun droit à l’erreur, parce que l’énergie réclamée demeure en fait due au nom premier invoqué par les démons et que le détenteur véridique et initial de ce nom peut à chaque instant réclamer, sans aucune limite de temps ni d’espace. En quelque sorte, les vampires qui chercheraient à se nourrir de cette manière verseraient leur boisson favorite directement dans le gosier du maître qu’ils tentent de fourvoyer. Ces femmes et ces hommes démoniaques deviendraient incapables de tuer par eux-mêmes ni de conduire ou piloter aucun véhicule infernal. Ils se retrouveraient comme des enfants colériques et impuissants, pianotant compulsivement sur des claviers ineptes, parce qu’ils ont renoncé à leur pouvoir personnel en vivant dans l’Ombre d’un Seigneur qu’ils ont échoué à trahir.

Empereur Pirate
Contact
Limoges, 2023, tous droits réservés.